La preuve par l’enquête interne. Webinar proposé par Doctrine et AvoSial, le 2 septembre 2021.
Avec les interventions des avocats Stéphanie Stein, François-Xavier Michel, Bertrand Salmon, François Vaccaro, Jean Martinez, et le psychologue-enquêteur Gilles Riou : témoignage de spécialistes et partage de bonnes pratiques.
Gilles Riou intervient dans le cadre du Webinar sur sa propre expérience de l’enquête interne : « Faire face aux situations complexes ».
La question de savoir si la présence d’un avocat pour le témoin est obligatoire lorsque l’audition est précisément menée par un avocat s’est posée lors de notre dernière enquête. La plaignante voulait que son avocat soit présent. Cela a finalement été refusé car il aurait fallu que l’avocat de l’entreprise soit présent, et ce dispositif aurait provoqué un blocage complet sur la qualité du recueil des témoignages.
En substance, il me semble que la question est celle de la méthode sur laquelle l’entreprise s’est mise d’accord et qu’elle a validé avec les partenaires sociaux.
C’est un point essentiel : si jamais l’enquête est bien faite et la méthodologie bien comprise par toutes les parties prenantes, alors vous avez très peu de risque de contestation de la méthodologie et vous pouvez vous concentrer sur les faits. Dans la mesures du possible on gagne toujours, même s’il y a une petite appréhension sur le comment on se met autour de la table pour discuter de cela, à avoir une méthodologie qui est co-validée par les parties prenantes.
Cela aide aussi à choisir la méthodologie la plus adaptée, quand vous on reçoit une alerte et que l’on ne sait pas encore tout à fait où ça va nous mener. Parce qu’il peut y en avoir plusieurs : on peut avoir un traitement sur pièces, une investigation très étendue, quand on pense que derrière la plainte pour harcèlement, il y a un système beaucoup plus large de dégradation voire de corruption des relations, quand ce n’est pas de corruption tout court. Donc il faut adapter la méthodologie à la situation. Y compris sur un plan tactique, puisque, selon la méthodologie choisie, cela va permettre, dans une situation un peu délicate, de faire sortir durant l’enquête des preuves et des témoignages qui sinon ne seraient pas ressortis.
Je prends un exemple : une situation est déclenchée autour d’un conflit très ancien, une plainte pour harcèlement. On se retrouve avec une méthodologie validée par le CSE, mais la personne mise en cause commence à contester la méthode. On fait valider la méthode en CSE en présence de l’Inspection du travail, donc la contestation s’éteint à ce moment là et on enchaîne ensuite avec les auditions. La personne, alors, sentant l’étau se resserrer finit par dire : « Moi je ne viendrai pas à l’audition, je refuse ». Et on utilise ce refus dans l’enquête, pour le contextualiser avec d’autres refus et d’autres mises en échec de résolutions du conflit que cette personne a provoqué depuis plusieurs années, pour dire en fait : « À chaque fois qu’on essaye de résoudre, la personne met en échec les tentatives de résolutions donc il ya bien un problème ».
En creusant ainsi, a on parvient à recueillir les témoignages et à structurer, autour de faits qui sinon seraient plus anodins, une démonstration de la problématique. Là dessus, on met aussi en évidence une certaine mauvaise foi de cette personne (qui par ailleurs avait un mandat, donc l’Inspection du travail avait son mot à dire). Donc c’est la mise en évidence de ce comportement d’entrave à la résolution de la situation, à l’enquête et à l’élucidation du problème, qui a pesé à la fin dans la balance sur la décision de l’Inspection du travail, qui est celle qui autorise ou pas le licenciement. Sans cela, on serait resté sur une forme de conflit dégradé. Et là on a pu mettre la chose en évidence, grâce à la méthodologie qui a resserré au fur et à mesure les mailles du filet.
Le dernier élément, c’est que dans beaucoup de cas les enquêtes sont simples : vous avez une preuve, un SMS cru qui vient démontrer les choses. Quelques fois c’est plus délicat, et en fait, derrière, il y a des systèmes d’emprise, dans lesquels les témoins vont avoir du mal à s’exprimer. Il faut envisager de les protéger.
La méthodologie que nous proposons, lorsqu’il s’agit de situations complexes, c’est d’avoir une analyse du contexte qui va être envisagée par l’ensemble des parties prenantes, puis ensuite de descendre jusqu’à une analyse de la structure des risques psychosociaux qui pèsent sur la situation. Ensuite, et seulement ensuite, on arrive à une analyse des faits. Parce que dans certains cas les faits vont être contextualisés et prendre de la valeur, grâce au contexte et à la structure de risques.
Il y a un équilibre alors à trouver, parce que dès lors que vous parlez de risques psychosociaux, l’employeur craint d’être mis en cause. Mais il vaut mieux être mis en cause pour une obligation de prévention sur laquelle il peut dès lors déclencher un plan de prévention des risques psychosociaux, plutôt que d’être mis en cause pour un manquement à l’obligation de sécurité parce qu’il n’a pas protégé une victime de harcèlement.
Il y a toujours un donnant-donnant. Et l’Inspection du travail comme le juge apprécient l’équilibre et le fait qu’il y ait eu, au minimum, un accord des parties prenantes sur la méthodologie d’enquête. Cela évite énormément de contestations sur la méthodologie d’enquête. Par ailleurs, il s’agit souvent d’un indice : lorsqu’on commence à contester la méthodologie, c’est souvent que l’on cherche à cacher ce qu’il y a derrière.
Notre métier ne peut pas se faire sans un travail en bonne intelligence avec les avocats conseil de l’employeur. On articule et on construit la méthodologie en fonction d’un contexte pour que ça bénéficie à l’entreprise.