Gilles Riou. 22 juin 2019.
Qu’est-ce qu’un signal/indicateur (QVT) fiable ? Faut-il une compétence particulière pour en faire la lecture ? Quelle incidence des indicateurs dans la prise de décision ?
Qu’est-ce qu’un indicateur (QVT) fiable ?
Un indicateur quelqu’il soit, pris isolément, peut-être retenu pour justifier du maintien d’une politique donnée, en dépit des alertes.
La question aussi aujourd’hui s’actualise avec la recherche par les fonds d’investissements, les mutuelles et les assurances d’indicateurs extra-financiers dont il est acquis qu’ils sont les relais de croissance de demain, un demain très proche en réalité.
Que ce soit pour juger de l’importance d’une crise ou d’un vecteur de croissance, pour être fiable l’indicateur reste soumis à trois critères : la validité, la fidélité et la sensibilité. La validité n’est ni plus ni moins la concordance entre ce que l’indicateur représente et ce qu’il est censé représenter. Si je vous dis que l’indicateur décrit des carottes et qu’il s’avère en fait que ce sont des choux, vous aurez un problème de validité. Si vous pensez que la fierté d’appartenance reflète la sérénité des salariés dans l’entreprise, vous avez un (très gros) problème aussi. La fidélité est la stabilité d’un indicateur dans le temps. Toutes choses étant égales par ailleurs, l’évaluation devrait rester la même d’une mesure sur l’autre. La sensibilité, enfin, est là pour garantir que deux situations distinctes ne produisent pas une mesure identique. Ces trois critères acquis, on peut espérer avoir des indicateurs fiables.
Faut-il une compétence particulière pour en faire la lecture ?
A partir de là, on comprend qu’un indicateur est une construction nécessairement collective, si on veut s’assurer de sa validité, et que sa lecture est nécessairement contextualisée. Prenons le cas de la fierté d’appartenance à l’entreprise. Que recouvre cette assertion ? S’il est vrai que répondre « non, je ne suis pas fier » doit être un signal d’alarme pour tout dirigeant, la réponse « oui je suis fier » n’est pas, à l’inverse, un signal intrinsèquement positif. La lecture d’un tel indicateur doit être circonstanciée à l’objectif que ce sont donnés les dirigeants : dans le cas de départs et de licenciements prévus, il n’est pas besoin d’être psychologue pour se rendre compte qu’il va y avoir une violente confrontation entre des salariés qui sont fiers de leur appartenance et la volonté d’une direction de les faire partir en masse. Croisés à d’autres indicateurs – comme par exemple la confiance accordée à la Direction -, on mesurera la complexité du problème et l’ampleur du dialogue et des ressources nécessaires à mettre en œuvre si on veut que cela se passe au mieux.
Attardons-nous aussi sur ce qui est manifestement un important biais cognitif de confirmation d’hypothèses : ne garder que les informations qui nous conviennent, jusqu’à l’absurde. Ne considérer que la fierté et ignorer le reste. Rejeter les études moins favorables.
Il faut donc une compétence, et on peut sérieusement réfléchir à l’idée d’évaluer une équipe de futurs dirigeants dans sa capacité de traitement de ces informations. Imaginerait-on un Directeur Financier incapable d’analyser un bilan financier non seulement ligne par ligne mais aussi entre les lignes ? Lui accorderait-on de n’avoir choisi que la ligne comptable positive du bilan global pour prendre position ? Non, évidemment, et heureusement. Alors pourquoi serait-ce accepté pour les données qui relèvent du facteur humain, voire des vies humaines ? Si le traitement de données complexes effraie un dirigeant au point qu’il se rende capable d’ignorer celles qui ne lui conviennent pas, son conseil d’administration devrait se poser de sérieuses questions, et rapidement.
C’est donc une compétence technique réelle, qui ne s’invente pas, que de construire et lire des données psychosociales complexes. Parce que leur modélisation n’est pas aussi simple qu’un bilan financier, elles ne devraient pour autant pas être laissées au seul sens commun. La valeur d’une expertise, c’est précisément d’aller au-delà du sens commun. Ensuite, au delà de l’expertise technique, c’est une question de discernement et de discipline personnelle que d’être capable de traiter une information complexe pour prendre des décisions.
Quelle incidence des indicateurs QVT dans la prise de décisions ?
Or, précisément lorsqu’on exerce une fonction de direction, la compétence de prise de décisions est capitale et englobe autant que la volonté, celle du discernement et de la contextualisation. Il est trivial – mais semble-t-il nécessaire – d’énoncer qu’à défaut de disposer de toutes ces compétences, il convient de savoir s’entourer et surtout de disposer de capacités de dialogue avec ses interlocuteurs pour savoir entendre ce qui ne va pas dans le sens de ses impressions. C’est une exigence de la fonction que de savoir intégrer la contradiction. L’asymétrie de pouvoir qui existe par exemple entre les partenaires sociaux et les directions ne devrait pas conduire ces dernières à ignorer ce qui est remonté du terrain. Mieux, à l’heure où les ordonnances Macron produisent leurs effets, les directions devraient réfléchir et valoriser la capacité des représentants du personnel ainsi que des experts de la santé au travail à rendre compte de ce qui par nature, échappe aux radars du management. C’est dans ce cadre que des indicateurs fiables peuvent être co-construits et servir à la prise de décision.
Quoi qu’il en soit aujourd’hui, gardons en tête qu’aucun investisseur ne souhaite désormais investir dans une entreprise au capital humain défaillant : fuite des talents, risques de scandales de harcèlement moral ou sexuel, exposition à la corruption ou plus largement baisse de l’engagement… et donc des résultats.
La performance des entreprises à moyen et long terme est fortement corrélée à la qualité de vie au travail(*).
* QVT : au-delà des critères de l’ANI, je retiendrais : fierté d’appartenance, qualité des relations (dont femmes-hommes), confiance dans les dirigeants, légitimité des représentants, principe de subsidiarité et possibilité de bien faire son travail… dans la mesure où l’absence de ces critères exclue toute possibilité sérieuse de parler de qualité de vie au travail.